Imaginez de vous retrouver seul dans une forêt brûlée où vivent des grizzlys, un sac de 25 kilos, votre voiture à 5 km de là et quelque 500 mètres plus bas ; vous devez sûrement être un cueilleur de champignons.
En 1858 la Colombie-Britannique a été fondé suite à la ruée vers l’or qui eu lieu dans la vallée Fraser, mais c’est l’industrie forestière qui est maintenant le cœur de son activité. Bercée entre les Rocheuses et la côte, cette province canadienne est une énorme forêt. Une forêt boréale plus exactement et pour exister elle a besoin de brûler. Certains arbres sèment leurs graines au contact du feu ; les cocottes de pins éclatent et se servent de la richesse du sol brûlé et des cendres afin de grandir. Dans ce cycle naturel, il n’y a pas que les arbres qui poussent, il y a notamment un champignon qui grandit sur les terres fraîchement brûlées de l’été précédant ; la morille de feu. Alors que dans certaines régions du monde poussent des morilles fraîches en petite quantité, des tonnes de morilles de feux peuvent pousser sur une forêt boréale brûlée.
L’industrie champignonnière génère plusieurs millions de dollars dans l’Ouest canadien, ce sont des centaines de personnes qui viennent arpenter les kilomètres de forêts brûlés chaque année. Au printemps, les compagnies faisant le commerce des champignons vont sillonner les feux de l’année précédente afin de déterminer lesquels seront les plus propices pour une bonne récolte. Durant l’été 2017, la Colombie-Britannique a été ravagée par d’énorme feux de forêts, les plus grands qu’elle ait connus, pouvant faire plus de 2 000 km carré pour certains. Équiper d’un GPS, une claie de portage, un couteau et d’un sceau c’est dans les Rocheuses, entre l’Alberta et la Colombie-Britannique, que j’allais m’initier à la cueillette des champignons.
Soleil, eau, chaleur
Pour pousser, la morille à besoin que mère nature lui prodigue les facteurs adéquats. Il faut de l’eau afin de nourrir le mycélium, mais aussi du soleil et de la chaleur pour qu’elle puisse grandir. Un temps trop sec ou froid, même si sur un bon terrain, ne permettra pas la pousse.
Choisir, le bon feu de forêt est primordial dans la cueillette, c’est l’avantage d’être avec un acheteur, la compagnie aura fait au préalable ce travail de prospection. Il faut que le feu ait eu lieu suffisamment tard dans l’année afin que la végétation ne puisse pas repousser avant le gel hivernal. La forêt doit aussi être principalement du conifère.
Étant dans la montagne, la saison aura débuté dans le bas de la vallée à environ 1300 mètres pour finir dans les hauteurs à 1900 mètres. Le même principe fonctionne au niveau de la terre, il est possible de commencer sa saison plus au sud et de la finir au nord, on trouve des morilles de la Californie au Yukon. L’ensoleillement du sol aura aussi une grande influence, sur le feu où nous étions les champignons ont poussé principalement sur la face Est.
Dans un même feu de forêt, l’intensité du feu n’est pas la même partout selon le terrain ou la température au moment de celui-ci (un feu peut durer des jours, des semaines voir des mois). Parfois, simplement le sol et la base des arbres brûlera, parfois la forêt ne sera plus que cendre. Selon le moment de l’année la morille de feu ne poussera pas au même endroit.
Vente des champignons
Dépendamment de tout ces facteurs, une journée de cueillette peut rapporter entre 0 et plusieurs centaines de dollars. Le fait de trouver le bon endroit, de savoir où chercher, d’être rapide, mais aussi d’avoir une bonne part de chance peut faire basculer une journée de marche en une journée lucrative. Il faut être prêt à vivre une expérience d’autonomie de camping pour plusieurs jours voir plusieurs semaines, la saison est courte et il faut pouvoir profiter de chaque journée possible. C’est en roulant plus de 80 km sur une route forestière que nous arrivions au camp.
Espace cuisine, toilettes, tipi pour les jours de pluies, c’est la maison pour plus d’un mois. La vie de camp est rythmé par les journées de travail, de la vente des champignons et puis des soirées autour du feu. Entre les départs à 6 h et le retour en après-midi pour relaxer, ceux qui décident que c’est une journée off ou alors ceux qui partent plus de 12 h, chacun gère son temps comme il le souhaite. Le principe de la cueillette, c’est qu’à la fin de la journée vous pouvez les vendre à l’acheteur ou les garder pour vous.
L’acheteur, souvent un par camp, est le relais sur le terrain de la compagnie. Il est responsable d’acheter les champignons à la livre et de les stocker. Celui-ci vend ensuite ses champignons à un sécheur, qui a souvent une équipe de plusieurs acheteurs. L’étape de séchage des champignons est importante, car si le travail n’est pas bien fait les champignons vont pourrir. Dernière étape de ce commerce, le sécheur va ensuite vendre à la compagnie qui elle mettra le produit sur le marché. À chaque transaction, chacun prend sa part. Le prix de la morille fraîche va beaucoup varié selon la saison et l’abondance du produit. En général le prix sera haut au début, car le stock de la saison passée est épuisée, puis va chuter en milieu de saison car beaucoup de champignons seront sur le marché.
Avec autant d’étape, la différence de vente des champignons entre le cueilleur et le public est énorme, certains décideront de sécher les champignons eux-même et les vendront directement à des restaurateurs. Petit calcul ; le prix de la livre de morilles fraîche était à 6 $, lorsqu’on fait sécher une morille elle perd 9 fois sont poids. 1 livre de morilles sèche équivaut donc à environ 10 livres de morilles fraîche, soit 60 $. La vente d’une livre de morille sèche tourne entre 150 et 200 $.
La vie de cueilleur
Sur le terrain, la cueillette de champignons n’est pas un travail d’équipe, mais une fois au camp c’est la vie collective. Pas un travail d’équipe, car il n’est pas possible de tous cueillir au même endroit, avoir ses lieux secrets et savoir comment les trouver est la force des cueilleurs expérimentés. Avoir une endurance physique pour marcher plusieurs kilomètres avec parfois plus 30 kg sur le dos à enjamber des troncs et gravir des montagnes, c’est ce qui fait aussi la différence sur la fin de la journée. Pouvoir passer la journée seul en étant alerte des dangers que la forêt canadienne regorge fait également partie du jeu. Plusieurs se sont fait charger par un grizzly, il faut savoir comment réagir. Le terrain n’est pas toujours une partie de plaisir ni sans risque. Malgré tout cela, c’est sûrement la chose la plus sympathique que j’ai pu faire.
Pourquoi ? Peut-être pour toutes les raisons qui font que cela est difficile, mais également assez drôle, un test personnel et que d’être immergée un long moment dans la nature vous fait comprendre comment on s’en est éloigné. Pouvoir marcher là où peut-être personne d’autre n’a marché, n’avoir que le son de la nature, s’abreuver directement de l’eau des glaciers.
Il est intéressant de noter aussi la diversité parmi les cueilleurs. Il y a les locaux, ceux qui viennent durant leur semaine de vacance ou la fin de semaine parce qu’ils habitent proche. Mais il y a surtout ceux qui viennent pour faire la saison au complet. Un horizon international de personnes qui viennent, pour un temps, faire des promenades dans les forêts du Canada. Un profil de voyageur au long terme, qui visent à une vie autrement, loin du métro-boulot-dodo.
La cueillette des champignons
Pour un à deux mois, des centaines de personnes viennent cueillir les fruits du sol dans les forêts. L’argent que génère ce commerce attire de plus en plus de personnes. On a cependant pas encore pu répondre si cette cueillette est bonne ou mauvaise pour le sol. Le fonctionnement du mycélium et de son importance avec le sol n’est pas encore totalement connue. Est-ce qu’en cueillant tous ces champignons on ne vient pas abîmer un sol qui se régénère ? Il y a une différence entre l’activité dominicale en famille et ces milliers de livres que l’on extirpe du sol.
Marcher dans la nature, savoir l’observer et la reconnaître, pouvoir cueillir ce dont l’on a besoin. Si l’activité sur une base commerciale peut soulever des questions, il est nécessaire que nous redéveloppions celle-ci sur une base individuelle.
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SUPER article ! Les danger de la la forêt sont nombreux. Et je pense que la coupe massive d’une espèce a forcement une impacte considérable sur son environement.