Suite à la pandémie de Covid-19, afin de relancer « l’économie », la ville de Québec a proposé de lancer un projet nommé : Dollar Solidaire. Avec des partenaires financiers et via la plateforme de sociofinancement la Ruche, vous pouvez échanger une somme de dollar canadien contre une autre en dollar solidaire qui ,elle, est majorée. Les dollars solidaires ne sont échangeables que dans les commerces locaux participants. L’idée est de réinjecter de l’argent localement, comme le ferait une monnaie… locale ?
Sauf que… malgré une communication maladroite, les dollars solidaires ne sont pas une monnaie locale, mais un vulgaire chèque cadeau utilisable une fois. Ça aurait été simple s’il y avait eu une monnaie locale implantée en ville qui aurait permis de faire cela. Non ? Un peu comme le BLÉ ?
Afin d’être transparent, je dois dire que j’ai initié le projet de monnaie locale à Québec en 2015, été un des co-fondateurs de l’organisme MLC-Québec. Depuis, j’ai décidé de me détacher de l’organisme et quitter le CA, c’est donc mon opinion et n’engage pas l’organisme
Ceci étant dit, avoir un réel projet de monnaie locale, sûrement un des plus avancé au Canada et que la ville ne l’utilise pas et insuffle des milliers de dollars pour un projet ponctuel, cela ne fait aucun sens. Tout l’argent investit pour ces deux campagnes auraient pu être directement investis dans l’organisme afin de mettre du BLÉ (Billet Local d’Échange) en circulation et que cela serve réellement sur du long terme à l’économie locale. Rappelons qu’un projet de monnaie locale a l’avantage de doubler une masse monétaire à échelle communautaire et les dollars échangés contre les BLÉs peuvent être réinvestit pour des projets dans la communauté (micro-crédit, prêter pour des initiatives locales, prêts aux commerces participants, etc).
Concrètement, avec la deuxième phase du dollar solidaire, cela voudrait dire qu’il pourrait y avoir 250 000 BLÉ en circulation, en plus, il y aurait 250 000 dollars sur le compte de l’organisme. Il y aurait bien sûr un montant à assurer, mais une partie de cette somme pourrait être réinjecter dans l’économie locale. La manière de décider comment, ce pourrait être de manière communautaire entre les citoyens désirant s’impliquer. Une manière démocratique de se réapproprier l’outil économique. Il faut rappeler qu’un organisme avait à sa création de faire en autre du micro-crédit, l’Accorderie de Québec. Avec un montant initial de 50 000 dollars, l’organisme avait pu prêter 250 000 dollars á des gens n’ayant accès aux services des banques.
Les exemples de monnaies locales fonctionnant ne sont pas rares, il suffit de voir la vivacité du mouvement en France, un réseau à l’échelle nationale a même été créé. En France encore, la loi sur l’Économie Sociale et Solidaire a reconnu juridiquement le « titre de monnaie locale complémentaire » en 2013, en avril 2015, un rapport d’étude remis à Carole Delga, secrétaire d’État chargée du Commerce, de l’Artisanat, de la Consommation et de l’Économie sociale et solidaire, recommandait d’encourager le développement de ces monnaies, susceptibles de dynamiser les échanges locaux, au bénéfice des populations !Alors qu’à Québec, au nom de la frilosité de certains commerçants et par un manque d’encouragement de la ville, il faut créer un nouveau projet qui aura un impact économique moindre, qui nécessite un investissement énorme pour mettre le projet en place et tout cela pour quoi ? Des chèques cadeaux…
Il y a plusieurs outils qui servent à gérer les monnaies locales, certains sur logiciel libre, d’autres gérer par des organismes à but non lucratif, qui permettent de n’avoir aucun frais sur les transactions. Un réseau interne où chacun se crée un compte, peut y mettre directement de l’argent via virement bancaire électronique, les acteurs font les échanges directement dans le logiciel et cela ne coûte pas d’argent, contrairement à l’utilisation des cartes de débit et de crédit. Pour ce projet, la ville a choisi un acteur privé, une start-up qui vient de se créer et qui comme toute entreprise doit avoir un modèle d’affaire afin de générer des profits. De quelle manière ? En ayant des frais sur les transactions … Pourquoi alors que les logiciels existent, qu’ils ont l’expérience de la gestion des outils électroniques, la ville de Québec choisit un nouvel acteur qui a la même logique que le système que l’on doit changer ?
L’incohérence, comme pour beaucoup de décisions que peut faire la ville. Problème de la politique qui compte sur des élections, il faut montrer que l’on bouge, que l’on fait des choses pour avancer, etc. La transition sociale et écologique ne se fera pas en venant d’en haut. Il existe des initiatives citoyennes travaillant depuis longtemps et qui sont ancrées dans la communauté, c’est en les appuyant et en changeant de paradigme que l’on pourra faire cette transition souhaitée. Comme le disait Einstein, il ne faut pas espérer pouvoir faire toujours la même chose en ayant un résultat différent.
Et le dollar solidaire ? Il est là, il ne durera pas, qu’on en finisse rapidement et que l’on passe à de vrais projets. L’économie locale et l’achat local ont vu leur popularité explosé avec la COVID. On m’a contacté pour pleins de nouveaux projets; achats en ligne local, monnaie électronique locale, monnaie locale provinciale pour l’agriculture, fédération de monnaie locale provinciale, etc. Des projets qui fonctionnaient sur des modèles d’affaire de croissance, des primo projets lancés par des gens qui veulent voir les choses en grand directement. C’est en s’investissant dans la communauté et en créant des réseaux résilients et forts que nous pourrons faire changer les choses. Arrêtons de lancer des projets nouveaux en permanence afin de se mettre de l’avant, il existe des dizaines, des centaines, des milliers d’initiatives qui sont sur le terrain depuis des années. Investissons nous dans nos communautés, comme nous devons nous recentrer localement.
Le dollar solidaire n’aurait pas dû voir le jour, il aurait fallu que la ville compte sur le réseau que MLC-Québec construit depuis déjà plusieurs années avec l’objectif de construire l’outil économique citoyen basé sur une construction communautaire. Utilisons le, il est là, mais exigeons de la ville d’utiliser réellement les alternatives existantes pour mettre en place la transition. Ce n’est pas avec des outils créés dans la rapidité que nous pourrons changer les choses.